"La technologie est importante, mais il ne faut pas oublier la touche personnelle"
23 avril 2024Notre monde est en constante évolution. Si les développements technologiques se succèdent rapidement, des changements constants se produisent aussi au niveau socioculturel et influencent le regard que nous portons sur certaines choses. En tant qu'observateur des tendances, Bert Van Thilborgh – également conférencier pour Read My Lips – suit de près ces évolutions. Il nous explique quels thèmes ont actuellement la cote et comment les organisateurs en tirer profit.
Bert Van Thilborgh est le directeur de l'agence d’observation des tendances Futureproven Trendwatchers. "Notre business peut être scindé en trois activités. Premièrement, nous donnons des exposés sur l'évolution des tendances. Ceux-ci sont basés sur les tendances de la société et sur la façon dont nous, en tant qu'humains, nous comportons face à celles-ci. Au départ d'une analyse, j'indique comment telle ou telle industrie peut miser sur ces tendances par le biais d’innovations. Notre seconde activité concerne les ateliers consacrés à la recherche et analyse des tendances, ainsi qu’à l’implémentation et innovation. J'ai d'ailleurs écrit sur ce sujet l’ouvrage Trendsurfing, qui sert de manifeste pour ces ateliers. Enfin, nous réalisons également des missions de consultance pour les entreprises et organisations. Dans ce cas, nous créons des packages ‘à la tête du client’."
Porter de l'attention à la diversité
Pour organiser un événement réussi, il faut connaître son public. "Il faut donc prendre en compte l'identité des participants", explique Bert Van Thilborgh. "Et donc aussi les tendances démographiques. En premier lieu, notre société devient de plus en plus multiculturelle, avec toutes sortes de cultures ayant leurs propres traditions et coutumes. La classe à laquelle j’enseigne à la Haute-École Thomas More présente un groupe très diversifié. Lorsque j’étais sur ces mêmes bancs il y a 30 ans, ce groupe était encore d’une couleur blanche monotone. Et cela a naturellement des conséquences. Récemment, j'avais demandé à mes élèves de lancer une hype. J'avais suggéré une danse déterminée. Mais je n'avais pas pensé que ce ne serait pas facile pour certaines filles musulmanes. Cela peut sembler très banal, mais ce sont des éléments qu’il faut prendre en compte lors de l'élaboration d'un événement. D'un point de vue inclusif, il faut s'assurer que tout le monde puisse participer. Il faut par exemple aussi accorder suffisamment d'attention aux personnes moins valides. Aujourd'hui, cette inclusion est vraiment devenue une référence, un élément qui peut faire de votre événement un succès ou un échec."
Les Belges vieillissent, mais se sentent plus jeunes
On constate aussi un changement important au niveau démographique en termes d'âge. "Depuis 2020, un Belge sur deux a plus de 50 ans. Les événements doivent également tenir compte de ce paramètre. Parce qu'il s'agit d'un tout nouveau groupe cible que vous pouvez atteindre. Il importe ici d’approcher les personnes dans la cinquantaine, la soixantaine et la septantaine en fonction de leur élasticité psychologique en matière d'âge. Parce que dans leur psyché, leur pensée, leurs actions et leur comportement, elles sont souvent 20 ans plus jeunes. Et cela n'est pas encore assez pris en compte. Les plus de 50 ans d'aujourd'hui disposent d’un budget assez important et aimeraient revivre leur jeunesse. Encore trop peu de chouettes choses sont cependant organisées pour ce groupe cible. Les septuagénaires d'aujourd'hui étaient les hippies de la fin des années ‘60! Avec les années, ils ont évidemment perdu leurs longs cheveux, mais en substance, plusieurs caractéristiques de cette époque sont encore écrites dans leur ADN. Il faut se plonger dans leur vécu."
L'impact de l'IA
Les évolutions dans le domaine de l'intelligence artificielle sont devenues très concrètes ces dernières années. "L’an dernier, l'IA a été sur toutes les lèvres, ouvrant également des perspectives pour les événements. ChatGPT peut vous soulager de nombreuses tâches, y compris l'élaboration créative. De la conception de l'événement au chatbot pouvant répondre à toutes sortes de questions en passant par la rédaction des invitations. Les possibilités sont tellement nombreuses. Et nous devrons aussi nous en accommoder afin de travailler plus efficacement avec moins de personnel. Car le rétrécissement du marché du travail est effectivement aussi une conséquence du vieillissement de la population. Si votre entreprise n'adhère pas à l'IA, elle sera condamnée d'ici 5 à 10 ans. Cela va devenir très important. Il faut automatiser, sinon nous ne nous en sortirons pas."
Réelle amélioration ou gadget?
Les événements virtuels ont connu un essor spectaculaire durant le Covid, mais ont aujourd’hui à nouveau disparu au second plan. "Il faut reconnaître que tout le phénomène du métavers est quelque peu dans l’impasse. Les médias en ont beaucoup parlé il y a quelques années, mais ont fini par s'en lasser. Même si la réalité virtuelle, la réalité augmentée et la réalité mixte bénéficieront assurément d’un nouveau coup de boost avec les nouveaux appareils que vont lancer Apple et Samsung. Il y a des trucs vraiment amusants à faire avec celles-ci. Mais souhaitez-vous vivre tout un événement dans une telle réalité virtuelle? Surtout quand on sait que la solitude continue encore et toujours de s’étendre. Nous constatons par exemple aussi un recul des médias sociaux. On accorde à nouveau une plus grande attention aux choses importantes de la vie, comme les contacts en face à face. Et c'est là que réside l'opportunité pour des événements. Nous utilisons encore le virtuel, mais de manière fonctionnelle, d'une manière intelligente qui facilite la vie. L'amélioration de la qualité de vie constitue la base de toute tendance. Mais améliorerons-nous notre qualité de vie en étant constamment dans le métavers? Si la réponse est positive, cela se poursuivra. Si la réponse est négative, alors cela restera un gadget temporaire."
Si votre entreprise n'adhère pas à l'IA, elle sera condamnée d'ici 5 à 10 ans. Cela va devenir très important.
Montagnes russes
Comme nous l'avons mentionné, la solitude forme encore et toujours un problème majeur dans le monde occidental. "Les gens ont besoin de se connecter les uns aux autres. Mais en Occident, notre connectivité est aujourd’hui devenue assez matérialiste. Nous sommes engagés dans la consommation et les expériences. Nous nous épanouissons surtout dans l'individualisme. D'autres cultures sont davantage axées sur le collectivisme. Sur la collaboration. Nous allons tout faire nous-mêmes, et allons nous greffer là-dessus. Comme le selfie, par exemple. A cela s’ajoute le fait que la vitesse à laquelle évolue notre société a augmenté, de telle sorte que de plus en plus de gens décrochent. Il y a tellement d'informations et tellement de choses qui changent autour de nous qu’il est devenu impossible de suivre. C'est une sorte de montagnes russes d'où tout le monde tombe progressivement."
Antipoison
En réaction à cette course effrénée quotidienne, Bert Van Thilborgh entrevoit un solide désir d'authenticité. "Nous constatons une forte demande d'authenticité et d'expérience locale. Nous avons aussi vécu cela avec le Covid, et il s’agit encore et toujours d’une force importante. Les personnes qui partent en voyage en Italie et qui veulent y faire des pizzas, y cueillir des olives et y apprendre à faire du vin. Ce sont des expériences qui font corps et qui ont du sens. Pourquoi tant de gens se mettent-ils à la poterie? Cela apaise, vous travaillez avec vos mains, avec un produit naturel... Le lien avec la nature, la concentration... Nous allons avoir de plus en plus souvent besoin de ce genre d’antipoison.
La peur face à l’espoir
Les différentes crises se sont succédé à un rythme effréné ces dernières années: de la pandémie aux guerres en passant par les crises économiques. "Il règne donc un grand pessimisme en Europe. Le monde occidental peut se targuer de nombreux accomplissements: un niveau de prospérité relativement élevé, un enseignement bon marché, des soins de santé performants... Tous ces acquis sont fortement mis sous pression. De plus, l'ère numérique est également source de stress et complique la prise de certains choix dans la vie. En Occident, nous devons souvent nous adapter, mais je pense que – surtout après le Covid – notre résilience s’est quelque peu étiolée. De plus, nous oublions souvent combien nous sommes gâtés. Il faut oser regarder ce qui va bien. Mais trop souvent, nous préférons voir le verre à moitié vide. Dans les pays en voie de développement, comme l’Inde par exemple, il y a bel et bien de l'espoir. Ces pays sont en pleine croissance. L'Inde sera le pays du 21ème siècle. Les Indiens sont friands de mathématiques, sont de bons programmeurs, montrent un solide intérêt pour l'IA et possèdent une force démographique. Et ils se focalisent sur leurs points forts. Ils ne font montre d’aucune peur, mais bien d’espoir et d'optimisme. Cette société est donc plus flexible et plus adaptative."
L'interaction entre l'homme et la machine
Enfin, il nous faut encore aborder l'énorme attention accordée au développement durable, qui s'impose également de plus en plus dans le secteur événementiel. "Je pense que nous allons vraiment évoluer vers des événements neutres en CO2. Cela commence par l'utilisation de gobelets réutilisables, mais peut s’étendre à tous les aspects. Mais nous devons rester honnêtes. Il est impossible de réaliser des événements de masse neutres en CO2. Peut-être allons-nous dès lors revenir à des événements à plus petite échelle. Cela ne veut pas dire que Tomorrowland va soudainement disparaître. Mais, hormis ces quelques blockbusters, nous allons nous concentrer davantage sur des événements de niche, avec quelques centaines de personnes prêtes à payer suffisamment pour une expérience ciblée. Dans le commerce de détail, nous assistons déjà à une évolution vers l'hyperpersonnalisation, en partie grâce aux données dont nous disposons. C'est pourquoi je dis qu’il faut associer l'humain et la machine: la machine pour l'efficacité et la rapidité, et l'humain pour conserver cette touche personnelle. Les événements à venir seront donc en partie très personnels et très technologiques. Tout l’art consistera à combiner cela de la bonne manière", conclut Bert Van Thilborgh.
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