"L'inclusion reste un sujet difficile à aborder"
19 décembre 2024Le 5 décembre, le Concertgebouw à Bruges a accueilli la 12ème édition de Meet in Flanders Academy (MiFA). Ce congrès se penchait cette année sur les aspects sociaux de la durabilité, et des conférenciers belges et étrangers partageaient leur vision en matière d’événements accessibles et inclusifs. Parmi lesquels Taha Riani, fondateur de l'agence de marketing stratégique Allyens et ardent défenseur de l'inclusion et de l'égalité.
Cela fait désormais pratiquement dix ans que Taha Riani travaille sur le thème de l'inclusion. "Tout a commencé avec la création de la plateforme média MVSLIM.com. Au moment des attentats dans notre pays, de nombreuses nouvelles négatives ont circulé sur les musulmans. Étant moi-même de culture musulmane, c'était plutôt difficile à accepter. Dans tous les médias, les musulmans étaient associés au terrorisme. Nous voulions contrer cette idée via une plateforme positive. Nous voulions souligner que l'identité est bien plus qu'un seul aspect de ce que vous êtes. Je ne suis pas uniquement une personne d'origine marocaine. C'est cette superposition qui fait de quelqu'un la personne qu'elle est."
Toucher une société diversifiée
Ce message a atteint sa cible et MVSLIM.com a réussi à toucher des millions de personnes, partout dans le monde. "Nous avons ainsi été approchés par des entreprises et des organisations. Nous touchions en effet tellement de personnes et de groupes qu'elles n’arrivaient pas encore à toucher, qu’elles voulaient implémenter notre stratégie. J'ai alors démarré une agence de marketing stratégique, axée sur la communication inclusive. Afin d’aider les entreprises à atteindre la toucher la société diversifiée d'aujourd'hui. J'ai ainsi pu travailler avec des entreprises et organisations comme Unilever, BNP Paribas ou Brussels Airport, mais aussi avec des instances publiques comme le Gouvernement flamand."
On a le sentiment que certains sujets sont tabous et que certaines choses ne peuvent pas être dites.
Tabou
L'an dernier, Taha Riani a écrit ‘Puis-je encore dire cela?', un ouvrage consacré à l'inclusion. "Je suis extrêmement concerné par cette thématique, et je sais qu'il est parfois très difficile pour les gens d'aborder ce sujet dans les conversations. La forte polarisation de cette thématique de nos jours émane du monde politique et des médias. Les gens ne peuvent pas avoir les bonnes conversations les uns avec les autres, de telle sorte qu’ils se repoussent au lieu de se rapprocher les uns des autres. Il n’est ainsi pas possible de tenir de telles conversations dans certaines entreprises ou organisations. On a le sentiment que certains sujets sont tabous et que certaines choses ne peuvent pas être dites. Dans mon livre, j'essaie de répondre à la question ‘pourquoi avons-nous parfois ce sentiment désagréable?’."
Changements rapides
Taha Riani comprend très bien d'où vient la sensibilité autour de cette thématique. "La société change très rapidement. Les technologies, la mondialisation,... Mais aussi au niveau local. Les gens voient leur environnement changer. Et ce changement rapide provoque parfois un choc. La société s'ouvre plus, nous sommes davantage connectés,... Alors que, jadis, les gens connaissaient surtout leurs voisins dans les villages, aujourd’hui, on peut se connecter avec n'importe qui partout dans le monde. Nombre de gens trouvent cela génial. Mais pour d'autres, ces changements sont beaucoup trop rapides. L’évolution démographique donne aussi parfois aux gens le sentiment de ne plus comprendre ce qui se passe. Ces tendances ne sont d’ailleurs pas propres aux autochtones flamands. Mon père, un travailleur immigré marocain de première génération, est lui aussi confronté aux thématiques de l’inclusion, comme le genre par exemple."
Impliquer tout le monde
"D'une part, on peut comprendre que les gens éprouvent des difficultés avec cela. Mais d'autre part, c'est la réalité d'aujourd'hui. Et on ne pourra pas revenir en arrière en repoussant certaines choses. On se retrouve ainsi dans des situations délicates et difficiles, où l’on obtient également cette polarisation. Avec un anti-mouvement contre le progrès sur certaines questions. Parfois, les gens ont aussi une sensation de perte. Leur identité, un certain pouvoir dans la société... Ce contexte rend parfois cela très complexe. Ma méthode vise à aborder cela d'une manière compréhensive. Parce que, finalement, il faut inclure tout le monde dans ce récit. Naturellement, il existe des activistes extrêmes qui poussent et crient très fort. Mais, avec objectivité, on constate que la plupart des gens se situent en fait au milieu. Ils cherchent tout simplement un guide pour naviguer dans cette société polarisante."
Créer un nouveau récit
Le monde de l'événementiel a lui aussi encore un long chemin à parcourir en matière d'inclusion. "Dans le secteur événementiel, l'accent est souvent mis sur l'accessibilité physique. On constate certes des progrès et une conscientisation, mais cela se limite encore et toujours à certains aspects. Certains obstacles sociaux et financiers empêchent par exemple certains groupes de participer. De telle sorte que certains groupes ne sont pas inclus dans votre récit. Il y a aussi des points à améliorer en termes de contenu. En se concentrant toujours sur les mêmes groupes cibles qu’on atteint toujours, on crée aussi le même récit à chaque fois. Nous vivons dans une société super diversifiée. En Flandre, près de 40% de la population est issue de l'immigration, ce qui modifie également la réalité de notre société. De telle sorte que les récits et les thématiques changent eux aussi. Cette prise de conscience pourrait permettre d’attirer certains autres groupes cibles."
En se concentrant toujours sur les mêmes groupes cibles qu’on atteint toujours, on crée aussi le même récit à chaque fois.
Commencer en interne
Les entreprises et organisations aimeraient se lancer dans l'inclusion, mais cela doit se faire de façon appropriée. "La thématique de l'inclusion est complexe à implémenter. Cela requiert du temps et de l'expertise. Il est très facile pour les entreprises et organisations de se focaliser sur l'infrastructure externe: lancer une campagne et annoncer qu'elles travaillent sur l'inclusion. L'inclusion forme souvent un projet de prestige pour le CEO et la direction. S'ils peuvent revendiquer un tel projet, ils seront très heureux de communiquer sur celui-ci, afin d'améliorer leur image vis-à-vis du monde extérieur. Mais on remarque que les gens sont devenus très critiques. Les entreprises ne peuvent plus se contenter de communiquer sur certaines valeurs qu'elles n'appliquent pas en interne. Et vu que tout devient de plus en plus transparent, ces récits seront aussi percés au jour de plus en plus rapidement. Pour obtenir de véritables résultats, il faut se focaliser sur l'infrastructure interne, en implémentant l'inclusion au sein des structures de l'organisation. C'est comme cela que les vrais changements pourront se produire."
Le même point de départ
"L'essence de l'inclusion est le fruit de l'inégalité qui règne dans les systèmes de notre société. Et ces systèmes sont également présents dans les organisations et les environnements de travail, de telle sorte que tout le monde ne bénéficie pas des mêmes opportunités dans le même environnement. Nous vivons dans une société où les droits de l'homme forment un facteur important. Nous croyons en l'idée que tout le monde devrait avoir les mêmes opportunités ou le même point de départ. C'est cela l'inclusion: comment s'assurer que tout le monde bénéficie d'un traitement équitable pour effectuer le même parcours au sein de telle ou telle organisation? Souvent, cette essence se perd rapidement en raison de discussions sur certains éléments ou sur l'usage des mots, empêchant ainsi d’avoir une vue globale."